Entretien avec Raidillon au Salon Belles Montres
Publié le 30 Novembre 2012
Fabien de Schaetzen Bernard Julémont
Dans Les salons de l’exposition Belles Montres à Paris, le 23 novembre 2012
Intervenants :
JW = Jimmy Watch, interviewer (MBA)
BJ = Bernard Julémont, Fondateur, administrateur délégué de Raidillon
FDS= Fabien de Schaetzen, CEO de Raidillon
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JW- Bonjour Messieurs Julémont et de Schaetzen, merci de vous prêter à cet exercice dans le cours de votre emploi du temps, probablement très chargé, durant ce salon Belles Montres, au Carrousel du Louvre. J’ai préparé quelques questions, nos lecteurs vont sûrement être passionnés par vos réponses.
Alors, cela tombe bien, vous êtes Monsieur Julémont, le créateur de la marque.
Ma première question vous concerne : l’origine de l’idée ? L’idée de créer cette marque, l’idée de l’installer en Belgique, l’idée de monter une boîte pour fabriquer et vendre des montres ?
BJ– J’étais déjà dans l’horlogerie et passionné de montres depuis 9 ans avant d’avoir lancé Raidillon, mais l’idée m’est venue quelques années plus tôt lorsque je me suis retrouvé pour la première fois sur le circuit de Spa-Francorchamps. Je trouvais qu’il y avait quelque chose à faire – à cette époque, …on parle de 1996, 1997, je n’avais jamais vu de marque de montres entièrement dédiée au sport automobile. Il y avait bien quelques garde-temps chez certains fabricants orientés sport. Je voulais donc y remédier avec un nom directement porteur, se rapportant à l’automobile et cela avec cette fierté belge nationale du circuit de Spa-Francorchamps, avec des virages mythiques. J’aurais pu prendre un nom plus générique, plus mondial, j’aurais pu l’appeler « chicane, départ, arrivée… ». Mais il avait dans ces noms moins de charme et d’âme. Je l’ai donc appelée directement « Raidillon » par le nom d’un virage… C’était ce nom et pas un autre ! Il y avait quelque chose de directement référencé, reconnaissable, et qui pouvait pour les amateurs de course automobile, être déjà un symbole très très fort.
JW– Le nom « Raidillon » sonne bien, c’est un nom qui chante.
BJ– Oui, ça ne fait pas particulièrement Belge, c’est un mot de la langue française. On peut aussi penser que c’est Suisse ! C’est juste un beau nom !
JW– Deuxième question Monsieur Julémont : Votre notoriété professionnelle, comment la ressentez-vous ?
BJ– Alors aujourd’hui, on commence à entendre des gens dire « je connais, j’ai vu de la pub… vous avez sponsorisé un évènement automobile sur circuit, j’ai vu des autocollants sur des voitures, ou j’ai vu un article, un blog, un forum », donc la notoriété n’est plus inexistante, bien que nous soyons encore une sorte de « petit Poucet » on peut donc dire que ça progresse !
JW– la question était peut-être trop orientée ? J’aimerais connaître cette notoriété sur le plan professionnel. Comment êtes-vous ressentis par les autres « concepteurs » de montres, vous pouvez m’en parler Monsieur Julémont ?
BJ– Il y en a évidemment qui ne nous connaissent pas, nous ne jouons pas vraiment dans la même cour. Ca m’étonnerait par exemple que « bip bip » nous connaisse ! On a énormément d’admiration pour les fabricants classiques de renom. Ils sont des génies de l’horlogerie = nous ne sommes pas horlogers !
JW- Et pour ceux qui vous connaissent Monsieur de Schaetzen, vous qui êtes le CEO, êtes vous reconnus, acceptés, est-ce que vous êtes considérés comme des vrais concepteurs de montres ?
FDS– On entend très souvent dire chez les gens de la profession qu’ils ont une forme de respect pour notre parcours. Ceci dit, ils savent très bien que ce qu’on fait est extrêmement difficile. A la limite eux ne l’ont pas connu, parce que leur création date de 50, 100 ans, voire plus. Ils s’en rendent compte qu’aujourd’hui : lancer et développer une marque de montres à un certain niveau de qualité de finition, c’est extrêmement difficile. Il faut se mesurer à des géants qui ont des budgets illimités. Ce milieu est quand même très traditionnel ! En fait, il faut vraiment des années. Il faut que la confiance s’installe ! Proportionnellement à notre volume sur le marché, on reçoit sans doute davantage de sympathie qu’un certain nombre d’autres marques… parce que… simplement « chapeau les Belges ! » (rires).
JW– Alors la question suivante en me tournant vers vous, Monsieur Julémont, elle est un petit peu liée. On a parlé de la notoriété professionnelle avec votre CEO à l’instant. Quelle considération recevez-vous des passionnés d’horlogerie envers votre marque ?
BJ– Je pense qu’il ya une partie de ceux qui nous connaissent qui trouvent l’idée, le concept formidable, parce qu’ils savent que les mouvements qu’on utilise sont des mécanismes universellement reconnus. Ils ne nous le reprochent pas !
Et puis il y a les autres qui vont nous reprocher exactement l’inverse : Ils vont dire « Ah, eh bien ils utilisent les mêmes mouvements que tout le monde, donc c’est de la… bip bip » !
Voilà, c’est un peu aujourd’hui ce qu’on ressent quand on va sur des forums, quand on lit certaines choses à gauche ou a droite. C’est un grand écart ! Tout dépend si on veut regarder ce nouvel objet, cette nouvelle marque pour ce qu’elle apporte de nouveau ou ce qu’elle n’apporte pas de nouveau !
JW– Et vous pensez que les passionnés vont modifier leur approche concernant la conception de vos produits par rapport aux autres ; ou bien est-ce que vous allez devoir défendre votre positionnement continuellement pour faire comprendre que même si vous utilisez des calibres externes, vous faîtes de la conception originale ?
FDS– J’ai envie de les classer en deux catégories. Il y a les passionnés puristes qui sont des dingues du dernier pont, de la dernière vis, du nouveau tourbillon etc. et qui s’intéressent qu’à de vraies manufactures – ce n’est pas notre positionnement et donc on se rencontrera jamais !
Et puis il y a les « amoureux » - des passionnés aussi, mais des « amoureux… qui voient au-delà de ce purisme absolu. Qui aiment le bel objet, qui aiment la montre plutôt que la technique et qui s’en fichent un peu de savoir que… finalement, c’est le même mouvement qu’IWC ou Tissot, donc « je m’en fiche, moi j’aime ! » Mais surtout, je pense que ce qu’ils apprécient par-dessus tout c’est l’honnêteté de Raidillon = Ce qu’offre Raidillon aujourd’hui comme produit… D’abord, on dit absolument tout de notre montre. On donne la vraie histoire de la montre, on ne triche pas. On dit pas que c’est un mouvement Raidillon, non, on dit que c’est un Valjoux 7750, point barre et, le rapport qualité/prix pour une montre en série limitée à 55 pièces - ce qui est quand même assez exceptionnel sur le marché - est tout à fait correct… et avec 5 ans de garantie, c’est là qu’on se retrouve !
JW– C’est en fait là ce qu’on appelle : l’honnêteté de l’approche
FDS– Voilà, exactement !
BJ– Il n’empêche que nous avons parmi nos clients, des gens des deux catégories.
Donc, des gens qui étaient sceptiques à un moment donné, viennent quand même un jour se faire plaisir, mais c’est vrai que ça ne représente pas la moitié de nos consommateurs ! D’ailleurs, ce qui est intéressant, c’est que nous avons beaucoup de consommateurs qui achètent leur première belle montre.
JW– En réfléchissant à l’originalité d’être installé en Belgique, quand on connaît les montres Suisses, l’horlogerie Allemande, on se demande si ce pays recèle encore des surprises ?
FDS– Oui, on est six, dont un constructeur qui est présent sur le Salon et qui est exceptionnel : Ressence, c’est vraiment quelque chose de très particulier. Il y a Van Esser. un néerlandophone, qui est bijoutier à la base mais qui a « sa » montre. Elle se vend pas mal dans le limbourg belge et hollandais. Vous avez évidemment le plus grand en volume, Ice Watch qui est Belge comme vous le savez : ça fait quatre !
Il y a nos amis Lebeau Courally une marque qui a deux ou trois cent ans, qui a la base est une marque de fusils de chasse Liegoise très célèbre et qui après avoir été racheté par un néerlandophone, a lancé il y a maintenant deux ans, quelques beaux modèles de montres.
BJ– Et puis il y a Rodania, qui historiquement était Suisse, mais qui s’est installé en Belgique il y a 50 ans. C’est une réussite phénoménale. Je crois qu’ils ont 800 points de vente en Belgique, 600 en France… ou le contraire ! Ils étaient plutôt positionnés bas de gamme et ils sont en train de monter un peu dans le moyen avec des mouvements automatiques. C’est en tout cas en Belgique un acteur important !
JW– Je pense que toutes ces précisions vont vraiment intéresser les lecteurs du Blog. Passons maintenant à la question suivante : Le développement prévu dans le milieu de l’horlogerie. Je suppose que vous avez envie de continuer, de vous développer, de vous étendre, d’innover ?
BJ– Alors il est prévu… mais ce n’est pas encore signé, qu’on rachète « bip bip » l’année prochaine.
JW– Oui, ça j’avais compris ! (rires)
FDS– Oui, vous savez quel est le problème ? : Ils veulent qu’on paye en francs suisses, et nous on a que des euros ! (rires)
BJ– Pour rester sérieux, il faut dire que nous cherchons toujours à évoluer, surtout sur le style, puisqu’on ne le peut par le mouvement. Mais… on est en train de réfléchir à des solutions pour ajouter des petites complications. On est en discussion avec des partenaires qui peuvent nous ajouter l’une ou l’autre de ces complications. Tout ça prend énormément de temps. Par exemple, on a mis 3 ans pour avoir notre rattrapante, donc ça mettra encore un petit peu de temps pour avoir d’autres fonctions, mais il n’est pas impossible que d’ici 2 ou 3 ans, on ai une dizaine de montres compliquées dans la gamme.
Restons raisonnables, on aura peut-être pas des tourbillons !... Tout le monde le fait, pourquoi nous ? (rires) Mais pourquoi pas vraiment innover !
FDS– La même question dans un an aura une réponse vraiment très différente, parce que le marché du mouvement bouge énormément et va beaucoup bouger dans les mois qui viennent. Donc d’ici 12 mois on aura de la matière, on pourra donner d’autres réponses !
JW– Alors une question un peu bateau, vous n’êtes pas obligés de répondre, mais je pense que c’est important : Les gens qui travaillent chez vous ont une formation d’horloger, j’imagine. Est-ce que c’est une formation maison…Belge locale ou est-ce que vous avez des gens qui se sont formés dans (par exemple) des centres Suisses, ou des écoles d’horlogerie, peut être illustres, ailleurs en Europe ?
Les horlogers qui travaillent chez vous, Monsieur de Schaetzen, quelle est leur formation ?
FDS– En Belgique, on a deux écoles d’horlogerie. En fait on a tout en double, voire en quadruple ! D’abord il y a tout en français et en flamand, et il ya toujours tout en public et en privé ! En matière d’horlogerie, il y a une école dans le Nord et une dans le Sud. Nos horlogers sont formés à l’école horlogère de Namur. Ce n’est pas La Chaux de Fonds, mais elle est reconnue ! Et alors, on travaille aussi beaucoup avec des partenaires qui sont avec nous depuis le premier jour, horlogers de génération en génération qui nous apportent ce coté qui n’existe pas en Belgique : Comme vous le savez on fait du bon chocolat, des bonnes frites (rires), mais on ne fait pas de montres à la base. Je veux dire que nous n’avons cette grande culture horlogère comme dans le Jura Français et évidemment en Suisse et en Allemagne.
On travaille donc aussi avec des partenaires pointus.
JW– Avez-vous Mr Julémont, un projet de calibre Maison ?
BJ- Non, pas de calibre Maison, mais ajouter des complications intéressantes sur des mouvements existants, oui ! Et c’est possible de le faire avec des partenaires, des « fournituristes », des ateliers spécialisés et pourquoi pas, la conjonction de petites complications. On pourrait par exemple imaginer une heure sautante, pourquoi pas un régulateur, une réserve de marche ! Peut être toutes ensemble et même un jour une « première mondiale » !
JW– C’est donc l’honnêteté qui est votre maître mot ? Rien faire qui ne soit techniquement et humainement possible !
FDS– Oui !
JW– Donc, peut-être la dernière question qui me semble importante : Est-ce que sur le plan tarifaire vous pensez que vous êtes gelé aujourd’hui ?
FDS– C’est une bonne question, C’est assez difficile de définir l’élasticité du prix d’une montre. La seule chose que je peux vous dire, c’est que les coûts de production augmentent de façon très significative et pas très rationnelle. Voilà, mais c’est comme ça ! Et évidemment c’est à un moment donné difficile de ne pas le répercuter sur le prix de vente. Ce n’est pas notre objectif, mais il faut que tout soit équilibré et que nous puissions continuer à investir dans des projets, du marketing, de la communication, une présence dans des Salons comme celui-ci coûte des fortunes au mètre carré !
JW– Messieurs, je vous remercie pour votre temps. Nous avons fait un peu connaissance avec votre très belle marque : Raidillon. Il ne me reste plus qu’à vous souhaiter d’être reconnu à votre juste valeur dans ce domaine si particulier du « sport chic » à prix raisonnable.
BJ– C’est en effet une très grande satisfaction pour nous d’entendre les passants s’arrêter devant notre boutique et dire « Qu’est-ce que c’est beau ! »
JW– Je confirme, ces montres sont magnifiques ! Merci à vous et bon retour en Belgique !