Publié le 17 Décembre 2016
Rédiger une telle analyse n’est ni simple, ni évident !
Il est pratiquement impossible d’examiner avec certitude les méthodes, les ramifications, les ententes, les assemblages industriels (constellations d’entreprises) et surtout les accords de fournitures ou de réalisations pour des marques occidentales. C’est sans doute sur ce dernier point que notre attention est attirée. En effet, quand on réalise que la Chine a vendu en 2016, 97% de la production mondiale de montres, on peut aisément considérer leur apport au marché horloger planétaire. Ce fort pourcentage a généré 45% des revenus globaux, tandis que les 2% de la production suisse ont produit 53% de ces mêmes revenus. Les autres pays producteurs ne comptent que pour 1% de la production mondiale et 2% de revenus globaux. Tous ces chiffres sont relativisés par un élément fondamental : En matière d’horlogerie, la Suisse est le plus grand client de la Chine ! (Le groupe Swatch achète 50% de ses pièces en Chine)
Depuis 1975, les chinois de Pékin et de Hong Kong ont acheté de nombreuses sociétés horlogères suisses parmi lesquelles on compte Eterna et Porsche Design, Dreyfuss, Rotary, Corum, J&T Windmills, Marvin, Milus, Emile Chouriet entre autres. Mais les chinois ont aussi créé de toutes pièces des marques suisses comme Ruimas ou Codex (essentiellement réservées au marché chinois) et des marques de montres de luxe domestiques « chinoises » comme Timekeeper, Anpassa, Memorigin ou Ebohr (à qui appartient Codex).
Pour ne serait-ce qu’entrevoir la main-mise tentaculaire de l’industrie horlogère chinoise, il ne suffit pas de lire la presse spécialisée ou de noter les informations parsemées que les entreprises elles-mêmes diffusent – ni même de faire totalement confiance aux expériences et remarques des collectionneurs habitués des forums horlogers. La vérité est ailleurs ! Comme le soulignait une célèbre série américaine de science-fiction.
Il y a dans le giron spécialisé, des journalistes d’investigation qui ont réellement mouillé leur chemise. Je pense à Ariel Adams ou Tom Adelstein. Certains ont entrepris de longues et onéreuses enquêtes qui pour certaines ont duré des mois, si ce n’est des années. Ils ont rencontré des chefs d’entreprise, leurs distributeurs, les revendeurs dans de nombreux pays. Ils ont acheté des montres ici et là, les ont comparées, ont noté les particularités. Ils ont démêlé les imbroglios juridico-commerciaux pour comprendre les puissantes ramifications et protections installées. Bref, ces travaux alliés à mes propres investigations durant les 10 dernières années nous permettent aujourd’hui d’entrevoir le fonctionnement et les perspectives de ces entrepreneurs modernes et avisés.
Après la seconde guerre mondiale, les japonais ont saisi une opportunité dans le domaine technologique et High Tech. Ils ont tout simplement décortiqué nos montres, nos voitures et nos appareils photos pour créer des produits aussi performants que les nôtres, plaçant le dynamisme créatif au premier plan pendant que nous nous reposions sur nos lauriers. Petit à petit, sans toutefois chercher à faire disparaître réellement nos marques, ils ont proposé des articles d’aussi bonne qualité, fiables et moins cher. Les chinois, une fois leur développement stabilisé ont fait pareil… plaçant peut-être leur dynamisme avisé dans un domaine peu à peu abandonné par les occidentaux : les objets manufacturés ! Le prix très bas de la main d’œuvre et le laxisme des normes de qualité et de sécurité aidant, ils ont produit des millions de choses utiles, comme des gadgets à remplir nos placards pour faire enfin décoller leur économie. Encore une citation à méditer : La nature a horreur du vide ! Qu’on ne soit plus là ou qu’on se laisse faire, les chinois auraient été bien bêtes de ne pas sauter sur l’occasion !
Avec les besoins grandissants du marché intérieur et l’élévation du niveau de la vie, alliés à la demande pour des produits-ayant-l’apparence-du-luxe-sans-en-avoir-le-coût… de la part des occidentaux, il était facile de proposer des montres, des téléviseurs et même des automobiles. Heureusement et surtout concernant la sécurité, certains domaines demeurent « relativement » verrouillés afin de ne laisser rentrer dans les pays développés que des articles conformes aux normes (bien que beaucoup d’exceptions réussissent à être distribuées).
Les garde-temps ont conquis ce marché avec brio, pensez donc, 97% de la production mondiale ! Certes une très grande proportion de montres jetables à très bas prix (en moyenne 3€ la pièce contre 700€ de moyenne pour les montres suisses !), mais aussi des pièces détachées de consommation courante et de relative bonne qualité, que l’on retrouve dans pratiquement la plus grande majorité de nos montres à nom européen, qu’elles coûtent 100 ou 1000 euros !
Probablement les plus grandes sociétés horlogères chinoises sont Citychamp, considéré comme l’équivalent chinois du groupe Swatch (50% du marché intérieur) Initialement connu sous le nom de China Haiden (ceux là même qui possèdent Eterna, Corum et d’autres). Ils achètent leurs concurrents chinois à tout va (Ebohr, Rossini), mais se trouvent en concurrence avec des géants comme la Shenzhen-Meigeer Watch Company (qui distribue la très connue marque Megir), le groupe Tianjin Seagull Watch Group Corporation (Une véritable manufacture depuis 1955, anciennement Tianjin Watch Factory et qui distribue l’excellente marque Sea-Gull). Seagull fait partie d’un groupe encore plus important et très ancien (1955) connu sous le nom de Shanghai Watch Factory. Nous avons aussi Zhuhai New Pearl Watchmaking Co. Ltd qui est l’un des plus grands fournisseurs du groupe suisse Swatch. Ils produisent donc davantage de pièces séparées que de montres finies. Mais il existe littéralement des centaines de petites sociétés qui fabriquent leurs propres montres ou assemblent pour des marques connues (comme c’est d’ailleurs le cas en Suisse !). Il faudrait des pages et des pages à cet article pour toutes les citer.
On remarque cependant la Guangzhou Watch Factory créée par l’Etat dans les années 60, proche de Hong Kong et qui a produit de grandes quantités de mouvements quartz. On la connaît plutôt aujourd’hui sous le nom de Dixmont Guangzhou Watch Company, qui possède plusieurs marques de montres et produit toujours des mouvements, mais qui reste moins connue en Europe – ne pas confondre avec Guangzhou Kinpac Watch Co. Ltd qui existe depuis 2009 et produit depuis 2013 la marque Chenxi à des prix très intéressants pour la qualité fournie . Ils sont parfaitement honnêtes en expliquant que leurs montres sont étanches à 1ATM et devraient durer 2 à 3 ans. Une grande partie de leur business est de fabriquer pour d'autres marques (notamment Européennes et Américaines, une grande quantité de marques connues). On peut avoir un aperçu de ces compagnies sur un lien professionnel :
(http://www.made-in-china.com/manufacturers/watch.html).
ou : http://chinesewatchwiki.net/List_of_Chinese_watch_brands
Citychamp Watch & Jewellery Group Ltd. Implanté à Hong Kong avec 65000 employés possède une gestion efficace puisqu’elle a par exemple triplé en 2016 la vente de montres suisses Eterna dont elle est propriétaire, par rapport à l’année précédente. Sans compter les autres marques européennes qu’elle a acquises et dont nous avons parlé plus haut. Ce groupe tentaculaire possède également 25 marques dont l’une des plus appréciée est Kana, part sophistiquée de Ebohr, sans compter Rossini qui reste très réputée en Asie Il fabrique un peu partout en Chine, des mouvements et des montres finies pour de nombreuses marques internationales et possède à présent des banques. Le Groupe fournit 50% du marché intérieur chinois.
La Shenzhen-Meigeer Watch Company fabrique des montres depuis 1997 et se base sur sa marque phare depuis 2008 : Nakzen (d’ailleurs enregistrée au Japon) à l’attention des jeunes générations chinoises et aussi sur Megir, une marque sérieuse, mais bon marché et qui commence à être distribuée en Europe et aux Etats Unis depuis 2015. Ruimas (annoncée comme Swiss Made, reste placée en haut de gamme). Sont couramment utilisés des mouvements Miyota mécaniques de haute qualité, mais aussi des mouvements chinois à quartz assez qualitatifs connus sous le nom de Sunon, mais qui demeurent bon marché. Sunon fondée en 2004 possède 8 usines en Chine avec un total de 4000 employés d’où sortent quotidiennement 2 million de pièces destinés à construire les mouvements quartz.
Le groupe Megeer fabrique et distribue de très nombreuses marques. Avec la plus connue des montres standard Megir, sont diffusés entre autre les marques Curren, Sinobi, Weide et Infantry
Seagull curieusement ne diffuse pas énormément ses créations horlogères dans son propre pays. On trouve d’ailleurs assez difficilement des montres badgées Seagull en Europe ou aux Etats Unis. Seagull qui a racheté les vieilles machines suisses de chez Venus dans les années 60 a continuellement amélioré des calibres très connus, simples et efficaces. Seagull fabrique donc surtout de très bons mécanismes, tout en vendant en Chine seulement 20% de sa production. Pour de nombreux fabricants occidentaux qui peinent à être fournis en mouvements ETA (un fabricant suisse de calibres qui a verrouillé la distribution aux autres sociétés non groupe Swatch), Seagull est une alternative intéressante : Les produits finis et bien huilés ont la réputation de durer au moins 50 ans ! Le Groupe Fossil en a commandé 800000 en 2009 !
Seagull est installé à Tianjin et certifié Iso 9001-2000. Cette société créée par l’Etat chinois et qui avait pour but initialement de fournir des montres au peuple, conserve une excellente réputation. Ils ont su la faire perdurer en misant continuellement sur la qualité, ce qui les présente aujourd’hui comme un concurrent très sérieux des productions purement européennes.
Il existe une noria de petits groupes horlogers (dont la dimension cependant à l’échelle de la Chine fait rêver !). Ils distribuent des marques connues en Occident, se présentent comme indépendants. NaChuan par exemple distribue Shark et Kronen & Sohne, laissant parfois entendre que ce sont des marques allemandes avec une histoire ancienne et une qualité inégalée – ce qui n’est pas le cas – mais en brouillant les pistes, on évite d’être pris en flagrant délit de mensonge ! Les calibres chinois utilisés pour ces montres sont le plus souvent des Liaong. On arrive à quelque chose comme 3 euros montre finie, à la sortie d’usine !
Parnis aussi est relativement bien connue en Europe et aux Etats Unis. Ce petit groupe produit massivement des montres de réelle qualité, mais fonde son économie sur des astuces commerciales et techniques : Ils achètent souvent des mouvements mécaniques rénovés (Seagull notamment) qui ne sont pas toujours huilés car cela a un coût supplémentaire, mais des calibres quartz Miyota réputés sans souci.
Le problème des calibres nouveaux ou rénovés Seagull est un cas récurrent, quand cette compagnie les vend à des sociétés comme Timex, Fossil, Invicta ou d’autres, mais ils sont alors préparés correctement pour ne pas nuire à l’image de marque d’entreprise qui se veulent occidentales.
Parnis a démarré sous le nom de Suntime Watch Company Ltd à Guangzhou (Canton) le fond de commerce de cette société sont les montres « hommage ». Des modèles qui ressemblent étrangement à des garde-temps Panerai ou IWC, par exemple dans la petite unité « Marina Militare », mais qui n’en reprennent que les codes, mais ni les dimensions, ni les calibres, ni les méthodes de fabrication. Il s’en vend en Europe au moins 500 par mois ! mais ils sous-traitent tous les composants.
On pourrait s’offusquer d’une telle pratique, mais en matière de montre, que ce soit au niveau de la technique ou du visuel, on a déjà presque tout inventé. Devrions-nous refuser toute nouvelle montre qui ressemble de près ou de loin à quelque chose de déjà vu ?
Alors quand on colle au plus près, on parle d’hommage et ça passe mieux ! (Malins les chinois ?) On note également d'autres marques fabriquées par Parnis, comme Garton ou Pagani.
En date du 25 janvier 2017, après 8 ans de procédure, un jugement vient d'être cependant rendu en faveur du Groupe Richemont. Vous ne trouverez plus désormais de montres "Marina Militare" fabriquées par Parnis (ou ses nombreux sous-traitants) ni sur eBay, ni sur Amazon, ni sur Aliexpress et encore moins dans des boutiques germaniques ou britanniques. Et même sur le Site officiel chinois de Parnis en anglais et à destination de l'Occident, les montres d'apparence "Marina Militare" sont présentées sans marque sur le cadran.
Au milieu de tout cela, se faufilent quelques montres marquées Swiss Made qui peuvent tromper les moins attentionnés, mais c’est de bonne guerre – On tente tout ce qui pourrait passer, tout en brouillant les pistes, de manière à dire si l’on est pris « Ah, c’était une erreur, on ne le fera plus ! ».
Il n’en reste pas moins que les montres « Marina Militare » sont d’excellente facture – On a bien dit « marine militaire » et non pas « Officine Panerai », n’est-ce pas ! Mais encore une fois quelques pièces reprennent ici et là la mention Panerai », histoire d’en vendre un peu plus. J’en possède une (sans la mention Panerai) et il n’y a absolument rien à dire, ni sur les matériaux employés, ni sur son aspect, ni sur son fonctionnement, ni même sur la qualité du bracelet cuir. Pourtant, quand on achète une telle montre autour de 100 euros, il faut vraiment se poser la question : Est-ce que le mouvement est huilé ?, au risque de devoir la jeter dans 2 ans !
On peut aussi parler de Fiyta qui se présente comme un fabricant de qualité ultime. La Compagnie a été fondée en 1987 à Shenzhen et a présenté dès 2010 ses premiers « tourbillons » et des montres « mystérieuses » en 2014. Ce sont des garde-temps très bien finis, soignés et relativement chers pour les chinois, qui sont pourtant vendus à des prix raisonnables pour nous, autour de 500 euros pour les mécaniques purs. On reste cependant confrontés au problème du Service Après-vente qui n’est pas encore assez structuré. La Compagnie est entrée dans le capital majoritaire en 2010, du Suisse Emile Chouriet SA basé à Genève. C'est l'une des premières sociétés horlogère chinoise a avoir été présente au Baselworld. Son nom étrange qui sonne comme une faute d'orthographe et qui se prononce "Fiyata" signifie en chinois : "Qui vole haut dans le ciel" - c'est sans doute la raison pour laquelle elle équipe les taïkonautes chinois. Elle emploie environ 4500 personnes.
On peut citer Arnex qui utilise des mouvements Unitas des années 1971 à 1979. D’ailleurs quelques montres Marina Militare spécifiques utilisent aussi des Unitas 6497 et même parfois, quand ils peuvent s’en procurer, des mouvements ETA – Tout dépend des complications qu’on souhaite installer.
Il y a la nouvelle venue (2010) Shantou Yazole Trading Company, Ltd qui commercialise la marque à la curieuse consonance Yazole, très appréciée en Inde… et tant d’autres !
Pour avoir une petite idée des marques de montres fabriquées et vendues en Chine… et maintenant en Occident (sous leur logo inchangé), il faut utilement se reporter au récent article qui parle de ce phénomène sur MBA :
Cependant assez peu de montres de luxe fabriquées en Chine sont encore vendues chez nous. L’avenir verra peut être l’étoffement de la distribution et d’un SAV de qualité. En attendant, vu le faible coût des montres chinoises de catégorie standard, il est peut-être intéressant de les commander directement là bas plutôt que de passer par des distributeurs qui ne font finalement qu’acheter des stocks et les revendre un peu plus chers, sans vraiment assurer le SAV (ils vous remplaceront l’objet en cas de souci plutôt que de le réparer). Par exemple, une montre de marque Curren ou Megir que vous allez trouver autour de 35 euros chez un distributeur, ne vous coûtera que 17 euros, commandée directement sur un site chinois.
Pour le moment, la seule opération viable se présentera sur un modèle mécanique équipé d’un mouvement Seagull. Ils sont connus, réparables et les pièces détachées facilement trouvables un peu partout.
Ce grand marché chinois est complexe à l’image du pays lui-même. Mais ils connaissent les affaires, ont appris des faiblesses de leurs voisins occidentaux et du dynamisme des japonais. Ils sont parfois durs en affaire et un peu sournois, mais nous sommes un tel bon exemple !
Quand nous pourrons faire un point dans quelques petites années, les choses pourront avoir changé du tout au tout !